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Queerlinguisticks
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4 avril 2006

Ca ne vous rappelle rien ?

" Melhuus Marit, The power of penetration – The value of virginity : male and female in Mexican heterosexual and homosexual relations. " in " Sexe relatif ou sexe absolu ", Catherine Alès, Cecile Barreau, Editions de la Maison des Sciences de l’Hommes. Paris. 2001.

La problématique de Melhuus Marit se situe au niveau des systèmes de genre. Elle tente de comprendre les liens qui unissent, dans une société donnée, le discours dominant sur la sexualité et les discours subordonnés. Cette article est construit grâce à des données personnelles, recueillies dans le milieu ouvrier de Mexico city, et également grâce aux travaux de Prieur A. sur les homosexuels du même milieu socio-culturel. Marit Melhuus expose clairement que dans le contexte mestizo, les homosexuels ne produisent pas un contre-discours en opposition à celui des hétérosexuels. Bien au contraire, des éléments centraux du discours des homosexuels sont inscrits dans le discours des hétérosexuels et constitutifs de la définition émique de la masculinité. Ainsi le discours " homosexuel " reçoit son sens en référence au discours hétérosexuel, et vice versa.

Le discours sur les genres à Mexico met fortement l’accent sur la complémentarité entre les hommes et les femmes. Cependant, cette différence et cette complémentarité se reflètent également dans les relations homosexuelles. Ainsi il n’y a pas de place pour une femme (célibataire) qui ne soit ni une prostituée ni une vierge, comme il n’y a pas de place pour un homme qui ne soit ni un macho ni un homosexuel (maricon). Cette différenciation des genres tire sa signification de la notion de pénétration : dans le premier cas la femme est pénétrée ou non, dans le second l’homosexuel est pénétré. Cependant ces représentations de la masculinité et de la féminité ne sont pas à placer sur le même plan. Alors que les femmes sont distribuées entre " bonnes " ou " mauvaises " (vierges ou non), les hommes sont distribués le long d’un continuum, en positon relative les uns par rapport aux autres (plus ou moins " hommes " qu’un autre). On a deux formes d’évaluation de la masculinité et de la féminité, l’une, discrète, et l’autre, continue, qui prennent leur sens autour de la notion de pouvoir et de pénétration pour les hommes, et autour des notions de virginité, de souffrance et de maternité. La figure de la Vierge est alors l’archétype de la féminité.

Le machisme, une expression du pouvoir.

Pour Marit Melhuus, la distribution des hommes sur l’échelle du pouvoir se fait en référence au machisme, bien que cette notion se fonde finalement sur la catégorisation discrète des femmes. L’articulation du machisme montre donc, à la fois, la situation précaire dans laquelle se trouve les hommes (prouver constamment leur pouvoir), mais également montre à quel point la sexualité féminine est vue comme ambiguë (source de pouvoir, mais également menaçante). Enfin, malgré les définitions multiples du machisme, celui-ci se comprend en milieu mestizo en référence aux notions locales d’honneur et de honte.

Le machisme est associé à la notion de pouvoir, et conséquemment, aux notions de violence et d’agressivité. C’est une forme d’affirmation de soi qui implique d’avoir le contrôle, d’avoir les commandes, et d’avoir autorité sur les femmes mais également sur les hommes. Le machisme à comme groupe de référence les hommes, autrement dit, même si c’est à travers les femmes qu’il se reflète, c’est à travers le regard des autres hommes qu’il est confirmé. Lancaster dit : " Le machisme n’est pas un moyen de structurer le pouvoir entre les hommes et les femmes. C’est, avant tout, un moyen de distribuer le pouvoir entre et parmi les hommes. "

Machisme, est dérivé du terme générique macho, signifiant mâle, et est utilisé comme synonyme pour masculinité, impliquant avant tout la capacité de pénétrer, et est associé au fait d’être actif, déterminé et inflexible. Ainsi le discours sur le pouvoir est lié de manière inhérente au fait d’être un homme et est explicitement sexuel. Le pouvoir est lié au fait d’être actif, à l’inverse les faibles sont ceux qui sont pénétrés, passifs, en un mot, féminins.

Dans la culture locale, les hommes et les femmes vont critiquer sévèrement le machisme pour l’incidence que se comportement peut avoir sur l’alcoolisme et la violence. Il existe donc des termes plus positifs, surtout dans la bouche des femmes, qui veulent un homme qui montre sa maîtrise des événements de la vie, travailleur, responsable et respecté. Elles font également référence au terme " macho " pour décrire se comportement. Le machisme est donc ambiguë, dépendant du contexte et de la personne pour lequel le terme est employé. Le machisme peut être vu comme un espace où l’on acquière de la virilité et qui structure ainsi les relations entre hommes. Néanmoins, les relations avec les femmes favorisent cette évaluation du pouvoir. La virilité d’un homme est améliorée non seulement par le nombre de femmes qu’il arrive à conquérir, mais également par la vertu de sa femme. En fait, la notion de vertu féminine est intrinsèque à la construction de la masculinité. Le fait que la vertu de certaines femmes soit importante pour un homme, implique que cette vertu peut être perdue (généralement par le contact sexuel illicite avec d’autres hommes). En d’autres mots, les actions des femmes peuvent influer sur la réputation d’un homme, en mettant un doute sur la virilité d’un homme. L’homme a donc besoin à la fois de la femme vertueuse, mais également des prostituées, des " femmes faciles ", pour affirmer sa virilité. D’un coté la vertu d’une femme reflète le fait qu’un homme la tient en respect, de l’autre son manque de vertu montrera l’incapacité de cet homme à tenir une femme en respect, alors qu’au même moment, cette femme non-vertueuse augmentera la masculinité d’un autre homme. En fait la catégorisation discrète des femmes est une condition nécessaire à la construction indigène de la masculinité. Cette catégorisation est également nécessaire a la construction de la féminité : alors que les hommes ont besoin de femmes " mauvaises " pour rester des hommes, les femmes ont besoin d’elles pour rester " vertueuses ". On commence ainsi à voir apparaître les jeux d’oppositions qui structurent l’ensemble des relations de genre.

La sexualité des femmes, mariage et maternité.

La sexualité des femmes est prise dans une sorte de contradiction. Célibataire, elles doivent se résoudre à la virginité, sinon elles risquent d’être catégorisées comme " mauvaise femmes ", " femmes ouvertes ", " prostituées ". le mariage et la maternité sont donc le seul moyen de vivre une sexualité. L’idéal de cette valeur symbolique de la virginité est investi dans la figure de la Vierge. La Vierge, à travers sa transcendance de la sexualité, étant à la fois vierge et mère, rend visible la dimension " mondaine ", au sens philosophique, de la femme, et également, l’ambiguïté de la sexualité féminine, potentiellement source de vertu. Pour que la maternité reste une vertu, cette ambivalence doit être surmontée. C’est l’image de la mère souffrante qui transcende la tension entre virginité et maternité.

C’est la souffrance, explicitement exprimées sous la forme du sacrifice de soi, qui sert à évacuer le problème de la sexualité et qui devient le marque de la maternité. Ainsi la souffrance devient une vertu, et les femmes, ses victimes. La souffrance est perçue comme une vertu féminine et fait partie d’un discours moral, qui appartient exclusivement aux femmes, et qui sert à augmenter leur estime de soi. Le logique devient " plus tu souffres, plus méritante et vertueuse tu es ". Toutes les souffrances non sont pourtant pas perçues comme " positives ". le faits d’être abandonnée par ses enfants, est signe d’avoir été une mauvaise mère, le fait d’être violée est signe d’être un femme facile (avoir été là ou elle ne devait pas être, et faire ce qu’elle ne devait pas faire). Par contre, le fait d’être abandonnée par un homme, ou subir des mauvais traitements, est une souffrance positive.

Parrallelenment au discours des hommes sur la domination et le pouvoir, il y a le discours des femmes sur la souffrance et la maternité. La domination est exprimée à travers le discours sur le machisme où les hommes contrôlent les femmes et où ils sont en concurrence pour le contrôle sur les hommes. La domination est également exprimée à travers l’idée que les femmes sont les gardiennes de l’honneur des hommes, alors que les hommes sont les gardiens de la vertu des femmes. Bien que cette complémentarité soit construite sur un idiome masculin (la domination), il est cependant possible d’isoler un ordre symbolique où la Vierge (mère de Dieu) eclipse l’image du Père, et où la femme est séparée et unique. La femme non-sexuelle, la mère, est la valeur ultime, plaçant finalement la femme en dehors du pouvoir des hommes. Autrement dit, il existe ou double structuration, permettant domination et complémentarité pour les femmes comme pour les hommes, mais où la femme semble pouvoir s’échapper du pouvoir des hommes, alors que les hommes ont toujours besoin des femmes pour affirmer leur pouvoir.

L’homosexualité. Etre moins qu’un homme.

Il est très difficile de parler de gays dans le contexte de l’Amérique Latine, car le système de genre exclu ce genre de formation d’identité et qu’elle ne reconnaît pas cette construction. Fondamentalement, il existe une grande différence entre les deux systèmes, basés sur l’opposition choix d’objet/rôle sexuel. Autrement dit c’est la signification de l’acte qui est mise en avant et non le sexe de la personne avec laquelle se fait l’acte. Selon Prieur, l’homosexuel efféminé est un symbole culturel, négativement inscrit dans l’imagerie mexicaine de la masculinité et représente l’opposé du macho. La métaphore centrale pour comprendre la construction homosexuelle est celle de la pénétration liée aux notions de " passif/actif ". L’homosexuel se définit par son rôle passif dans les relations. Les autres hommes peuvent être classifiés dans deux catégories, ceux qui ont des relations sexuelles avec des femmes uniquement et ceux qui ont des relations sexuelles avec les deux sexes. Les classifications sexuelles locales montrent bien cette conception de la sexualité centrée sur l’acte et la position. L’homosexuel est l’homme qui a des relations avec des hommes et qui assume le rôle de passif. Il est supposé avoir un comportement feminin. Le vestida ou encore jotos ou jotas, est un homme qui se féminise, physiquement et dans son comportement sans pour autant être un travesti ou un transsexuel. Etre bisexuel ou encore être " internacional " ou être un " tortilla ", signifie qu'il est supposé avoir des relations avec les hommes mais son rôle sexuel est moins clair, il peut changer et passer du rôle de passif à celui d’actif. Le " mayate " est un homme qui a des relations avec les deux sexes, tout en restant actif avec les hommes. Le terme " buga ", est réservé aux " vrais hommes " qui ont des relations sexuelles qu’avec les femmes. C’est donc l’acte de pénétration et les rôles sexuels qui donne sens à cette classification. En soi, le fait d’avoir des relations sexuelles avec un homme n’est pas stigmatisant, cela peut etre même perçu comme l’acte ultime de virilité, mais c’est plutôt le fait d’être pénétré qui vous réduit à être moins qu’un homme. La pénétration ne sert pas uniquement à distinguer les hommes des femmes, mais également les hommes entre eux. Etre pénétré est symboliquement connecté a la féminité. Pour la jeune fille, la pénétration la transforme en femme. Alors que pour les hommes, être pénétré c’est être privé de sa masculinité, c’est un acte qui féminise la personne. Cependant alors qu’en perdant leur virginité les femmes ont possibilité d’atteindre un statut supérieur par la maternité, l’homme pénétré est définitivement stigmatisé.

Sur la base de ses observations, Prieur soulève une contradiction dans le discours des homosexuels : Pourquoi un homosexuel, qui c’est laissé pénétré par un homme, condamne si fortement un autre homme de se laisser pénétrer ? Son explication est basée sur les notions essentialistes de la sexualité qui prévalent dans le contexte " mestizo ". L’homosexuel se laisse pénétrer parce que cela est la conséquence naturelle de son sentiment d’être féminin. Ainsi, un homme qui est attiré par les hommes doit avoir quelque chose de féminin. Comme un homme confirme la féminité d’une femme en la pénétrant, la féminité d’un homosexuel est confirmée par le fait qu’il est pénétré par un " vrai homme ". Inversement, l’identité homosexuelle ne peut être confirmée par le fait d’être pénétré par un homme " qui est moins qu’un homme ", un homme féminin. Il est également intéressant de noter que dans les relations " domestiques " entre hommes, ce n’est pas l’homosexuel qui est entretenu. Au contraire, c’est l’homosexuel qui pourvoie aux dépenses et à l’entretien de la maison, alors que dans le modèle hétérosexuel les rôles sont strictement partagés. Pour Prieur, cela tient au fait qu’il y a un flou sur le bénéficiaire des relations sexuelles.

Pour Prieur, comme la vertu d’une femme est définie en opposition à la " putain ", la masculinité d’un homme se confirme grâce à l’existence d’homosexuels. Finalement, il existe un jeu d’interdépendances et d’oppositions entre les différentes constructions de genre, formant pratiquement une structure au sens anthropologique du terme.

On regrettera seulement que Melhuus et Prieur ne nous fournissent pas de données sur l’interprétation du système par les " prostituées ".

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Commentaires
S
Sans être aussi lyrique qu'entrepologie d'un narcissique, je te remercie, Oniris, d'avoir traduit cet article ! Intéressé par le sujet, j'ai lu quelques livres sur l'homosexualité au Mexique, et j'y suis allé poursuivre mes propres investigations. Mais je ne connaissais pas cette source. Merci de partager ton érudition !
O
je t'aimeeeeeuuuuhhhhh
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